Lieu-je




Touché au cœur, le Poème s’est ouvert, et quelques graines minuscules sont tombées. Biffer cela. Dire autrement qu’ayant atteint le cœur obscur du Poème – et resté comme englué de longues années dans ces ténèbres immobiles – le corps est enfin entré dans la pure absence du Poème même. Atteint, le Poème s’est révélé dans sa nullité-même. Atteindre, c’est entrer dans l’inatteignable. Au-delà de l’être de toutes choses est le non-être, de l’être : sa liberté. D’être. Mais ce dire demeure (retourne) en deçà du propos. À jamais mitoyen, le Poème (ce dire) n’est pas tout à fait d’ici, ni tout à fait de là-bas. Touchant aux deux bords, il n’est d’aucune rive, et coule, dans l’entre-deux de soi. Et ce dire échappe à dire.
Lieu paisible se tait, vertigineusement non inspiré. Quelque chose ici dort, depuis toujours, dans son Temps. Rien à dire que cela. Autour de cela des paroles volettent, des « idées » passent, et ne reviennent pas – où reviendraient-elles se poser, sur cette absence qu’il y a là ? Nulle absence pourtant : lieu clos sur celui qui écrit, qui n’a d’existence que par cet écrit, écrit dont l’auteur est absent hors du texte anonyme, texte impossible hors du mouvement qu’il engendre, engendré par celui qui n’existe pas hors du texte qui s’accomplit hors de son existence ; et c’est du rapport, du combat de ces deux non inexistants que se révèle, s’épiphane cela qui ne peut être dit qu’en ne le disant pas, et qui dort, quelque part, en ce lieu fantastiquement, vertigineusement calme où se tait cette voix qui parle d’un temps qui serait dit hors de cette parole même.


LIEU-JE de Roger Giroux (Éric Pesty Éditeur, pp. 35-36) 

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