A-t-on besoin d’autre chose que de vertiges ?
J’aimerais m’introduire dans
chaque appartement de la résidence pour suivre la lumière au fil de la journée
et voir toutes les métamorphoses : il y a un moment, vers 18 heures,
lorsque le ciel a été clair toute la journée, et que l’après-midi est resté
immobile, où les couleurs s’enflamment : d’abord elles vacillent,
incertaines, et l’herbe, les buissons d’acacia, les petits massifs de laurier
vous semblent roux, presque noirs ; cette rousseur monte, et alors les
platanes et les marronniers de la cour intérieure se gorgent d’une sève qui se
jette sur la baie vitrée, sur le plafond et les murs de l’appartement : le
monde prend une couleur de sable chaud, puis des éclats orange et jaunes
clignotent aux coins des vitres, comme
des zestes d’agrumes ; les reflets tremblent un peu, pliés dans la nacre,
mauves et rouges, bleutés ; il n’y a plus qu’un immense buisson de
flammes, et la solitude de ce buisson m’enivre. Les étoiles ne meurent pas,
elles déchirent la gorge des humains qui admirent le soleil. Il faudrait
enfoncer un couteau dans la matière des journées, trancher le gras, y découper
ce qui seul vous éblouit : a-t-on besoin d’autre chose que de vertiges ?
Yannick Haenel, Tiens ferme ta couronne, Gallimard (pp. 56-57)
Commentaires
Enregistrer un commentaire