Inti


« Enfin, le gars posé au bord de la combe avec la louve, donnant à la photo la courbure magnifique d’un corps délié, fort et paisible, pâle et serein, plein, dense, précis, affûté, éclatant, dont je scrute le détail depuis des mois à en perdre la tête, le gars à la fière tignasse brune a vingt-huit ans (je calcule rapidement que ça nous met en 1985, il pourrait être mon fils), rejeton de néoruraux installés en Ariège dans les années quatre-vingt il gagne sa vie en faisant divers travaux forestiers après avoir renoncé à intégrer l’ONF, qui ne recrute plus guère (je tiens ça du témoignage oral du gars, de sa voix chaleureuse et teintée d’une ironie légère, élégante, exact pendant vocal de ce que son visage exprime : une voix en retrait, en réserve), il vit dans ce pays qu’il aime et qui l’oblige, avec sa louve, et il s’appelle Inti.


Or,
Inti est le nom du soleil en quéchua.

Les noms nous nomment, les mots nous précisent.
Parfois nous remplissons la tâche qu’ils nous assignent,
Et c’est alors la joie, la rencontre et la paix,
Parfois la grâce.
Par eux nous sommes fondés,
Par eux nous nous tenons
Comme le gars se tient au mitan de l’image,
Dans l’axe de la combe
La douceur de la louve.
Nul besoin de bouger pour que le soleil entre
Dans le cadre, éclaire un peu la scène,
La lumière vient du corps,
Et portée par le nom elle arrive jusqu’à moi.

Une combe,
Une louve,
Et la courbure d’Inti, vingt-huit ans,
Corps solaire et rompu,
Au feu de la présence. »


Mathieu Riboulet, Lisières du corps, Verdier (pp. 44-45)

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