Oh ! such a perfect day...
Andy, Nico
et un être blond indéfini, ni homme ni femme ou androgyne, sont au Petit Socco.
Lou dort encore au proche hôtel El Minzah, assommé par une nuit infinie. À la
terrasse du Café Tingis, ils attendent l’adolescent qu’ils ont envoyé leur
chercher du maajoun. Promesse de
légers plaisirs. Étourdissement coquin. Nico sourit au
passage des pêcheurs armés de leurs longues cannes oscillantes et camouflés
sous les amas de leurs filets verts encombrés. Elle penche son visage dans un
geste de bienveillance confortable. Elle est belle comme peuvent l’être les
totems de l’Afrique. Belle de verticalité et d’immuabilité. Sunday morning. Sans son public de la
Factory, Andy est un autre homme. Amusant, grivois, attentif, léger, canaille
même… Il aime l’air de Tanger, cette épaisseur lente dans les mouvements des
hommes, des vents et des courants marins. Sur cette placette du Petit Socco, il
peut profondément ne plus être Warhol. En vacance du rôle de sa vie, même si le
jeu ne l’a jamais ennuyé. Femme Fatale. L’être
asexué n’a rien d’autre à ressentir ou à penser que le plaisir de côtoyer les
deux icônes. Mais Andy, qui raffole de se faire photographier avec cet
amant-maîtresse des nuits new-yorkaises, ici préfèrerait retourner à l’hôtel
avec l’un de ces vendeurs de bazars qui vous négocient la lune et les dieux
dans des sourires solaires. Ce qu’ils ont de roublard et pugnace le touche
profondément. Il aimerait se laisser aller à la douceur mièvre d’être ce qu’il
méprise habituellement. Chelsea Girl.
Ils pensent à tout cela, aux rêves de Lou dans cette matinée de sommeil
prolongée au creux de draps blancs éblouis de soleil, aux marins qui défilent posément,
aux serveurs de café qui vont prompts et sagaces, aux élégants qui s’ennuient
dans l’attente de leur cour, aux hommes efféminés et prédateurs qui hument les
chairs et le soupçon de peur qui les pimente, aux androgynes qui s’ennuient,
aux chats prêts à en découdre, aux adolescents qui courent par les rues
grouillantes de la médina en quête de gâteau fourré au kif.
(...)
Quand
l’adolescent arriva en courant au café, torse nu et transpirant, essoufflé, il
présenta dans une grande confusion ses excuses pour le retard de plusieurs
heures et tendit à Andy un petit paquet précieux, en papier de soie plié autour
de quelques bouchées brunâtres. Confus et rougissant, il posa devant Nico une
petite boîte couleur tabac contenant un flacon du parfum Soir de
Marrakech. « Pour vous, madame » souffla-t-il dans la pénombre du
soir venu, ses doux pectoraux mis en avant et les muscles arrondis de ses bras
gonflés dans une pression toute calculée. Puis, dans un geste aussi
grandiloquent que celui d’un acteur shakespearien, il leva son regard vers la
nuit s’étoilant et poussa un soupir brodé de larmes. Perfect Day.
(extrait de mon livre-poème Je n'étais pas là (Cheminement I - Fragments et débris), éditions Al Manar, Paris 2017 - www.editmanar.com )
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