Le zèbre de mon centaure
Mon Centaure est fou de ce drôle de zèbre. Un
énorme pénis couleur de réglisse pend nonchalamment entre les pattes de
l’animal. De fait, ce zèbre est monté comme un âne : échappé du zoo de Gaza, il
est un baudet qu’on a peint de rayures blanches pour ressusciter le zèbre
original, abattu par un missile de Tsahal. L’âne, ainsi affublé d’une parure
digne des vastes brousses, s’était vu pousser deux ailes, et dans sa cage
déconstruite par le souffle de l’explosion, qui ressemblait à s’y méprendre à
l’espace dans un tableau de Francis Bacon, il commençait à se prendre pour Al
Burak. De là à ce qu’il commette un sacrilège impardonnable et attire sur lui
une fatwa imméritée, il n’y avait qu’un pas et le gardien du zoo avait préféré
lui ouvrir discrètement les portes du parc, pour qu’il puisse regagner la
nature sauvage et s’y perdre. Mais Gaza étant ce qu’elle est, un ghetto clos et
emmuré de tous côtés, l’âne zébré et ailé eût tôt fait de tourner en rond. Sans
discrétion aucune de sa part, on le retrouvait au soleil couchant, sur la
plage, où avec tristesse mais dignité, il marchait lentement dans l’écume des
vagues mourantes, pour la grande joie un peu inquiète des enfants, qui voyaient
en cet assemblage improbable l’émanation d’une sorte de Léviathan pacifié et
domestiqué des contes de leurs grands-mères. Personne n’osa cependant évoquer
cette outrageuse érection qui jamais ne quitta le paisible animal (Impressions
crépusculaires sur une œuvre de Hani Zurob).
En revenant de Gaza, totalement abasourdi par ce
qu’il y avait découvert et intimement convaincu qu’aucun homme digne ne pouvait
moralement accepter de tels crimes commis en toute connaissance, las et
perplexe, Stéphane Hessel m’avoua que, toute sa vie, le fait qu’on lui demande
s’il était réellement la petite fille de Jules
et Jim l’avait hautement exaspéré, et même rendu dubitatif sur la grandeur
du genre humain. Je crois qu’il avait eu besoin de ramener le comble de
l’inacceptable qu’il venait d’endurer aux petites exaspérations de la vie, afin
d’en supporter la violence. Il m’avait avoué cela sur le ton de la confidence
comme, aussi, pour trouver un chemin nous rapprochant en cette Terre sainte si
malmenée.
Le sang d’un poète coule noir
Un âne broute l’écume des vagues
Le sommeil abstrait
Le crépuscule est encore une promesse
Orphée ferme ses yeux de lyre
(extrait de mon livre-poème Je n'étais pas là (Cheminement I - Fragments et débris), éditions Al Manar, Paris 2017 - www.editmanar.com )
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