Trait jaune




La nuit roule sur une route de Palestine, ruban noir entre des villages secs et poussiéreux. Trait jaune trait jaune trait jaune trait jaune… Au fond au bout loin là-bas où sont tapies des ténèbres, surveillent des armes aux viseurs nocturnes. Je suis l’ombre vert acide qui roule et glisse et avale les traits jaunes traits jaunes traits jaunes. Ectoplasme de chaleur. Je roule et j’esquive. La nuit est moite et la route serpente comme l’ivresse d’une hétaïre. Personne ne sait. Un silence de couvre-feu. La route déballe et au fond… Mais quoi au fond ? Le fond du fond du fond du fond… Aspire le bout de l’ombre là où plus rien… Un brin de peur peut-être. Un reste d’angoisse coincé entre le diaphragme et les poumons. Un poids au fond du fond du fond… À mon allure d’illusion verte effarouchée je dessine la route. Trait jaune trait jaune quand, posté sur le bas-côté, un jeune cerf au regard brillant de nacre plante ses bois dans le souffle soulevé par mon passage craintif et presque irréel.

Dans un bar de Ramallah, la nuit s’étire à n’en plus vouloir finir, les alcools se suivent et les anges sourient d’une félicité non feinte. Fayrouz chante « Peut-être ne m’aimes-tu plus ? Tu ne m’aimes plus, c’est tout » et le piano, paresseux, cherche où aller, l’orchestre pleure la mélancolie des amours passées, les balais de la batterie chuchotent au rythme du sang sur une tempe désirante. Peut-être ne veux-tu plus de moi ? Le jour se lève. Suave. Allons dormir et demain nous verrons bien combien nous ne nous aimons plus encore, couverts des baisers de l’autre et de l’odeur des nuits amoureuses d'antan. Bess.

(extrait de mon livre-poème Je n'étais pas là (Cheminement I - Fragments et débris), éditions Al Manar, Paris 2017 - www.editmanar.com )

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