Toute bleue

-          Bleue est mon nom – dis-je.
Les jardins de l’hospice avec des statues, avec des fleurs obscènes.
Les vêtements bleus allaient et venaient comme qui récite un même poème interminable.
-          Pourquoi as-tu les yeux aussi fixes ? - dit-il.
-          Je rends mystérieux mon regard pour qu’en le regardant la rose rouge ne devienne pas bleue.
Voici venir mes trois amies : V., S. et O.
O. : de prêtresse ses yeux d’oiseau femelle, de taupe ses mains, de reine des exilés sa voix.
O. me raconte des histoires de morts inachevées.
-    O., j’ai peur de ce grand NON qui me monte à la tête.
Nous parlons. Ainsi nous sommes deux à nous partager le butin, le poids du cadavre.
V. me presse de répondre à l’appel. Amie toute proche comme la douleur de ma nuque. Rigoureuse comme une impératrice byzantine, elle est capable de mourir pour un mot mal prononcé.
-    Espace bleu se nomme ma retraite – dis-je.
Il est tard pour crier. La duperie a dégradé les apparences.
-          Cage bleue – dis-je en montrant la prison où je gisais.
-          Pour quel crime ? – demandèrent les dames qui hululaient comme les sirènes d’un bateau qui coule.
-          Si vous me donnez le carré magique qui change les couleurs et les rend fugitive, alors oui.
-          Nous voulons seulement t’aider – dirent-elles.
-          Vous ne pouvez pas – dis-je en pleurant sans tristesse, sans pitié.
Elles chantèrent des hymnes pour me soigner. Je mesurais la distance qui me séparait d’elles. J’étais si seule que mes frayeurs disparurent comme par enchantement.
Je montrai un à un les doigts d’une de mes mains.
-          Le luxurieux, le voluptueux, le lubrique, le morbide et le lascif. Ma main est le miroir de la tueuse.
-          Explique-toi mieux – dit S.
Un instant illicite se paye par des années de silence opaque. À qui raconter ma joie et ma vieille tendresse ?
-          À un zèbre héraldique, à un pingouin rose – dit celle aux yeux de magicienne.
Une bête de papier traversa l’espace bleu.
-          Quand j’étais moi, l’annonciatrice dans mes rêves privés ; la transformatrice des emblèmes anciennes et humiliées ; quand j’étais moi, vous comprenez ?
-          Non.
Ronde nocturne. Un clown me sourit à feu vif et me transforme en une poupée : pour que jamais tu ne te flétrisses (dit-il).
-          Explique-toi mieux – dirent les dames célestes.
-          Les souffrances me dispensent de donner des explications – dis-je.
Je souris.
-          Mes amours avec le clown durèrent ce que dure la pluie – dis-je.
Lui aussi voulait aller jusqu’à un certain point.
Je souris.
-          Louve bleue est mon nom – dis-je.


(extrait de Cahier jaune d'Alejandra Pizarnik, Ypsilon éditeur, traduction de Jacques Ancet)

Commentaires

Articles les plus consultés