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« Le détail étant ce qui nous retient étrangement à la vie. Je veux parler de ces aspérités, de ces choses indéfinies, de ces choses dans un coin du tableau, là-bas, celles qu’on ne voit jamais tout à fait, mais qu’elles viennent à disparaître pour de bon, elles nous manquent cruellement et font vaciller le décor. Le monde est si peu solide qu’il ne tient qu’à des détails. L’humanité elle-même est un grand besoin de détails. Parce que chacun de ces petits détails invisibles ou presque abritent un manque, un vide secret, une part déchue de l’existence ordinaire. Une défaillance dans le cœur des choses, toute à l’imitation de notre faiblesse. Et ce défaut, ce vide caché dans le détail du décor, rappelle l’entrée en toute chose, signale, l’air de rien, le passage obligé dans le décor. Un arbre en retrait. Un toit dans la brume. Une ombre. Une silhouette miniature. Un oiseau dans le feuillage. Un minuscule scarabée doré dans la haie. Quand cela vient à manquer, nous, les petits personnages principaux de l’histoire (selon cette foi naïve que nous avons en nous-mêmes), nous disparaissons avec. Ces choses de la vie dont on nous dit qu’elles passent, et qui en réalité nous empêchent de passer, ce sont elles qui nous inscrivent dans la familiarité du monde. Familiarité si précaire, si remplie d’étrangeté, si faite de riens et de détails infinis. »

Frédéric Boyer, Là où le cœur attend, P.O.L., 2017 (pp. 21-22)

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