El serait la fleur de la subversion
En revenant de Gaza, totalement abasourdi par ce
qu’il y avait découvert et intimement convaincu qu’aucun homme digne ne pouvait
moralement accepter de tels crimes commis en toute connaissance, las et
perplexe, Stéphane Hessel m’avoua que, toute sa vie, le fait qu’on lui demande
s’il était réellement la petite fille de Jules
et Jim l’avait hautement exaspéré, et même rendu dubitatif sur la grandeur
du genre humain. Je crois qu’il avait eu besoin de ramener le comble de
l’inacceptable qu’il venait d’endurer aux petites exaspérations de la vie, afin
d’en supporter la violence. Il m’avait avoué cela sur le ton de la confidence
comme, aussi, pour trouver un chemin nous rapprochant en cette Terre sainte si
malmenée.
Le sang d’un poète coule noir
Un âne broute l’écume des vagues
Le sommeil abstrait
Le crépuscule est encore une promesse
Orphée ferme ses yeux de lyre
Coiffée de camélias, de gardénias, de magnolias, El
songe à tout cela. En véritable pistolero, El aurait mis un grand coup de feu
dans ce merdier. « Demain du sang noir
séchera au grand soleil sur les routes / Chantez compagnons, dans la nuit la
Liberté nous écoute ». Le vieux
diplomate émérite lui prit la main et son incommensurable sourire assura la
jeune femme de la justesse de sa colère. Mais il lui fallait retrouver la paix.
Agir en paix. De colère froide. Une lueur glaciale brilla de toutes les bagues
qu’El portait à chacun de ses doigts et les fleurs libérèrent des fragrances
outrageuses dans sa chevelure de nuit. La magie opérait.
El se serait voulue loin de tout cela, sur de hauts
plateaux, en Iran pourquoi pas ? Douce belle Kashkaï aux yeux clairs,
tissant de splendides tapis vendus contre quelques têtes de bétail et qui
partiraient vers des ailleurs fabuleux. Entre deux travaux, El pourrait
s’assoir dans des champs d’herbes rases où de minuscules fleurs rouges et
orange couvriraient de vastes prairies sanguines, dans des doux vallonnements
contre le ciel turquoise. El s’abandonnerait dans cet air tranchant des hautes
altitudes, enveloppée d’une rassurante odeur de bétail et de beurre rance,
bercée d’espoirs d’enfantements et d’hivers cléments. El se serait voulue loin
de ces mondes où l’idéologie travaille et malmène les esprits, pour enfin
pouvoir se reposer. Mais El est la fleur de la subversion.
Esquive
En revenir à la plaie ouverte
D’un doigt caresser la passion
Christique béance
Au fond bat un cœur
Le sang se fige
L’ongle sale caresse
Perçoit la palpitation
La vie bat dans la plaie
Côte tranchée
Trachée ouverte
(extrait de mon livre-poème Je n'étais pas là (Cheminement I - Fragments et débris), éditions Al Manar, Paris 2017 - www.editmanar.com )
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