Le pied de saint Jean Baptiste




En me penchant sur une reproduction du Saint Jean-Baptiste dans le désert de Jheronimus Bosch, je fus pris de vertige. J’avais tout d’abord été interpelé par la forêt de l’arrière-plan, dont les feuillages constituaient un attirant poudroiement de bronze. Les grandes plantes monstrueuses picorées par des colibris, dont les fruits mûrs étaient près d’éclater, me lassaient rapidement, comme l’arbre perçant la futaie pour relier les cieux ou la ruine bulbeuse sculptée dans un mont d’ivoire. Je trouvais même que cette tentative allégorique plaçant le Baptiste dans un univers mamelu fantastique me gênait tout autant qu’elle avait pu titiller l’histoire de l’art. L’agneau pascal et christique, couché comme le serait un chien dans l’attente du signal de son maître pour partir à la chasse, me paraissait lui encore certes détonnant, mais néanmoins convenu. L’abyssal, dans cette toile, m’était cette attitude du saint, béate et sereine, bonhomme ; proche d’un Noé ivre et comblé dans sa nudité, le personnage vêtu de rouge y tend un pied de femme. Que Jean le Baptiste ait pu, en se nourrissant de sable et de chaleur, d’insectes et de reptiles, gagner cet air d’ennui satisfait digne d’une demi-mondaine trop courtisée, en laissant traîner avec impudeur un pied de jeune fille, me laissait résolument coi. Il désignait d’un doigt nonchalant le chemin droit qui conduit aux lumières divines, certes, mais ce pied… ce pied…



(extrait de mon livre-poème Je n'étais pas là (Cheminement I - Fragments et débris), éditions Al Manar, Paris 2017 - www.editmanar.com )

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