Méandres
Méandres - Ce n’est pas là faire un nouvel
appel à l’un des guides de ce Cheminement, l’affable Maurits Cornelis, qui ne
cesse de nous montrer voies et passages à travers les atermoiements de notre avancée
dans ce labyrinthe, tracé au fur et à mesure que nous filons dans le récit.
Non, ce n’est pas cela. J’aurais aimé qu’il soit question d’un clin d’œil à
l’une des scènes en forme de tableau sur laquelle se joue la Sarabande de Haendel, sous les sensuels
et vénéneux auspices de l’ami Barry
Lindon ; ou bien à la course folle où se lit l’essentielle énergie de
la vie quand la mort (j’ai manqué écrire l’amour !!!) l’approche à grands
pas de folie, dans les méandres de buis de Shining.
Mais non, ce n’est toujours pas cela. J’emmène alors mon lecteur par ce dédale
que je construis au bonheur des rencontres et des croisements, carrefours où se
creuse un tunnel inépuisable et dont le bout est de nuit. Nous déambulons par des
haies et des allées, des lignes droites se coupant et se tressant, entremêlées
des courbes de tout ce que le monde ondoie. Le rectangle tourne et forme une
roue. Nous traversons ainsi, main dans la main et yeux dans les lignes, les principes
d’une fleur de vie. Grimpons la pyramide ! Elle ne nous offrira aucun
autre horizon que l’arête de chacun de ses côtés. Elle est la permanence d’une
face nouvelle à dépasser, chacun de ses angles franchis, et ainsi roule sur ses
quatre faces. Le tétraèdre consume ceux qui le contournent. Retombons alors sur
les murs dressés en cube, monolithe bien planté dans la terre. Nous errons dans
l’assurance d’un ancrage. Le labyrinthe est aussi une affaire de vivants. On
s’y perd comme on évolue dans sa propre histoire. À tâtons assurés. C’est encore
là, dans ce doute et dans ce vagabondage, le germe d’une pensée de la liberté. J’imagine
allant de soi que mon invité soit sujet à un étourdissement, dans le vertige
des lignes qui s’entrecoupent, l’escalade périlleuse de ce texte sans sens
aucun, et les sauts obligés de fragment en fragment, entre lesquels se dresse un
vide de précipice. Dans la figure de l’octaèdre la tête nous tourne, comme elle
le fait en amour, comme elle le fait lorsqu’on marche le soir tombant en
élevant le regard vers les étoiles naissantes, comme elle le fait devant les
profondeurs insondables des failles. Dès lors, dans ce parcours sans fin et
sans issue, voilà que vibrent et tressautent les mots, avec la verdeur d’un
torrent de montagne ou l’obstination des vagues de l’océan furieux. Sentier
aquatile. La pluie bat le labyrinthe, l’eau monte, les musards risquent la
noyade, emportés par les vagues du récit. L’icosaèdre glisse sous les pas des marcheurs
que nous sommes. Le cheminement s’écoule à travers fêlures et fissures vers ses
propres gouffres. Nous suivons les grandes voies d’eau et retrouvons pied dans
les lagunes du sens. Entre isthme et détroit, entre lien et fluidité. C’est sur
ce littoral qu’il nous fallait arriver aux douze faces qui gravitent autour d’un
équilibre parfait. Échappons donc à l’enfermement du labyrinthe en gravissant les
sept cieux ; hissons-nous en escaladant tous les motifs de notre fleur de
vie. Le plan de notre chemin de Jérusalem est découvert ! Alors j’accroche
qui me lit par les empâtements, contre-poinçons, boucles et ligatures des
caractères de mon texte et soulève tout ce bric-à-brac vers les hauts cercles
de l’éther. Nous nous élevons. Icariens.
essayons
de revenir aux choses sérieuses
Je me
perds, plus encore, dans quelques mystères : je suis le bourdonnement
obsessionnel que l’on entend dans les films de David Lynch, et qui nous chuchote
la complexité du monde ; je suis le regard de Maria Casarès quand, aux
côtés d’Orphée, elle se retourne sur la félonie et plante l’ombre de ses yeux
dans le doute ; je suis les pleurs de désespoir du lutteur, quand il se croit
maudit en perdant le combat de sa vie ; je suis la grâce replète de Psyché,
un généreux sein à l’air, une gorge aussi laiteuse qu’hospitalière, endormie dans
un sommeil magique d’avoir, par curiosité, ouvert le coffre qui renferme une
partie de la beauté de Proserpine ; je suis le chemin qui mène au bout de
ces choses qui n’ont pas de fin…
(extrait de Philippe Guiguet Bologne - Ce qui nous restera - Cheminement II - Fragments de Tanger et d'ailleurs, Scribest 2019 - Le livre est disponible aux librairies des Colonnes, les Insolites et Conil à Tanger, ou à commander en cliquant sur https://www.scribest.fr/article-214-ce-qui-nous-restera)
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